Rien que pour le fun

En l’an de grâce 1998, il y avait à l’Ecole Centrale de Nantes un groupe de gens un peu bizarres, qui, pour passer le temps, se sont mis à écrire une histoire, chacun continuant ce qu’avaient fait les autres. Au fil du temps, l’influence de Terry Pratchett sur cette belle histoire se fit telle que le Grand Gourou du PCF, qui passait par là tout à fait par hasard, décida, impressionnée par la qualité de l’oeuvre, de l’insérer dans le site Web.

Voici donc, pour vous, en exclusivité mondiale, l’intégralité du texte de LA BALLADE DU SAMEDI.

Le Grand Gourou souhaite remercier Pascal Naidon pour les superbes dessins. Donc, merci Pascal.

AVERTISSEMENT Cette histoire est plutôt dans le genre longue. Il est donc conseillé de rapatrier l’ensemble de la page et de l’imprimer avant de la lire…

La Ballade du Samedi

Il était une fois, dans un royaume lointain, un palais où la vie s’écoulait paisiblement dans un décor enchanteur ; le promeneur pouvait aller par les allées des jardins aux senteurs agréables, bercé par le murmure des ruisseaux et du vent dans les arbres, sans qu’il soit troublé par un quelconque bruit de tronçonneuse. Dans le palais vivaient le sultan et sa fille Zéfira, et ensemble ils dirigeaient le royaume avec sagesse. La princesse Zéfira était amoureuse du prince Abdelah, fils d’un sultan voisin. Le sultan Al-Kafir allait bientôt annoncer les fiançailles. Hélas, le vizir Jafar, pervers et ambitieux, avait d’autres projets en tête…

Tout d’abord, rallier le père d’Abdelah à son projet de coup d’état, l’armée de celui-ci pouvant lui être fort utile. Ensuite, empoisonner le sultan et Zéfira par une nuit sans lune, s’emparer du trône et utiliser sa nouvelle alliance pour écraser les émeutes qui ne manqueraient pas d’éclater. Mais en fin politique, Jafar savait que n’importe quel pot-de-vin ne suffirait pas au riche et puissant sultan Omar. Qu’offrir à l’homme qui possède tout ? Le vizir convoqua donc au palais le grand sage Pferry et lui demanda conseil :

 » Alors, quoi qu’on fait ? « 

Sous les fenêtres du palais, Abu Bouara fignolait les réglages de sa dernière bombe… Et Abu résolut bien vite les problèmes du vizir : il n’y avait plus personne dans le royaume lointain.

Au même moment Cent ans plus tard, à Rio de Janeiro, le carnaval battait son plein. Ce n’étaient partout que rires, cris, danses, orgies diverses, de jour comme de nuit et dans toute la ville. Les conditions idéales pour commettre un meurtre… Parmi les milliers de danseurs de samba, on pouvait remarquer un schtroumpf particulièrement doué. C’est que derrière ce déguisement se cachait Sindbad Da Suza, danseur de samba professionnel et pêcheur à ses heures. Le jeune schtroumpf ne se méfia pas quand il vit une jeune schtroumpfette s’approcher de lui au rythme des tambours. Comment aurait-il pu deviner que cette ravissante femelle-schtroumpf n’était autre que… le machiavélique Abu Bouara (arrière-petit-fils du précédent) !

En effet, celui-ci avait subi une opération chirurgicale des plus complexes pour que son déguisement de femme soit bien réel. Et c’était une parfaite réussite. Il était devenu ravissante, gracieuse et très attirante. Sindbad fut séduit par cette jolie danseuse et dansa une samba fiévreuse avec elle. Les mains bien placées et en parfait accord avec la musique suggestive et envoûtante, tout comme les charmes de la délicieuse schtroumpfette.

D’un geste gracieux, celle-ci projeta, en pleine samba, une balle dorée dans l’imposante coiffe d’une danseuse à la tenue bigarrée. Les quelques personnes ayant remarqué la chose l’oublièrent bien vite, sans savoir que la ravissante schtroumpfette était le terrible terroriste international Abu Bouara, et qu’il elle venait de lancer une bombe !

Pendant ce temps, dans un bar proche…

Le barman avait quelques problèmes avec le grand client vêtu de noir. Celui-ci semblait en effet avoir une soif inextinguible, et le barman avait peur pour son stock.

Mais ce qui le gênait le plus, c’était le déguisement du client. Certes, il est traditionnel que les gens se déguisent en squelettes, et la robe noire et la faux ne faisaient qu’ajouter au réalisme, mais dans ce cas précis, le déguisement était trop réel. Et sa voix lui faisait un effet désagréable.

 » Un quelconque système électronique, sans doute.  » se dit-il en remplissant à nouveau le verre du client.

 » NON. CE SERA TOUT, dit le client en se relevant, dans un léger bruit de frottement d’os sur os. J’AI UN RENDEZ-VOUS.

– Ah ? Une femme ?

– OUI. UNE DANSEUSE DE SAMBA  » dit la Mort(1)

alors que les vitres tremblaient à cause de la déflagration.

Heureusement pour notre schtroumpf, la schtroumpfette n’avait pu se défaire de lui, et l’avait donc amené dans sa chambre d’hôtel, à trois rues de là. Et, alors que le terroriste transsexuel préparait son arme pour se débarrasser de ce témoin gênant, la porte vola en éclats :

 » Tous à terre ! Je suis l’inspecteur Coulombeau, de la police judiciaire. Vous êtes encerclés ! « 

Abu n’avait pas l’intention de terminer sa carrière aussi vite. S’il parvenait à s’échapper et à rejoindre son repaire ultra-moderne situé en pleine jungle, il serait en sécurité… et plus à l’aise que dans une cellule sombre et dégoûtante à attendre d’être pendu. Aussi, n’écoutant que son instinct, il abattit le schtroumpf d’une balle en plein cœur, déchargea son arme en direction de la porte (mais l’inspecteur Coulombeau, qui n’était pas un imbécile, s’était prudemment écarté), et se jeta par la fenêtre.

Malheureusement pour lui, il avait oublié qu’il se trouvait au 15ème étage, et il se retrouva en compagnie d’un squelette en robe noire qu’il reconnut aussitôt du fait de son métier.

 » Alors, c’est fini ? demanda-t-il.

– OUI. IL FAUT VENIR AVEC MOI MAINTENANT.

– Il faut prendre les choses du bon côté. Au moins, je ne finirai pas pendu. « 

Il contempla un instant les gens qui s’agitaient tout en bas, essayant de ranimer une poupée de son bleue bizarrement disloquée… lui ; puis il suivit le grand maigre dans sa cape noire.

Dans la chambre, l’inspecteur Coulombeau se tenait la tête à deux mains en fixant le cadavre de Sindbad. Ce n’était pas dans ses habitudes d’être sujet au défaitisme, mais échouer si près du but l’avait plongé dans une crise de blues qu’il espérait passagère. Toutes ces années de recherche et de poursuite, perdant puis retrouvant tour à tour la trace du tenseur des contraintes d’Abu, toutes ces années n’auraient donc servi de rien ? Abu mort, tant de questions restaient sans réponse… Pourquoi donc avait-il balancé une bombe dans le palais du sultan ? Et pourquoi cette bombe aujourd’hui ? Il allait falloir encore chercher pendant longtemps pour connaître la vérité et maintenant qu’Abu était mort, cela allait être difficile. Pour commencer, Coulombeau pourrait tenter la piste de l’opération chirurgicale…  » Oui, c’est ça, voilà un bon début « , murmura-t-il en se levant, le cœur à nouveau plein de fougue.

Coulombeau n’eut aucune peine à retrouver l’hôpital, son adresse étant mentionnée dans le calepin retrouvé sur Abu. C’était un établissement suisse de grande renommée, dont nous tairons le nom par respect (et surtout parce que le directeur ne nous le pardonnerait pas). L’inspecteur se rendit donc sur place et demanda à voir le docteur Martesi, qui avait pratiqué l’opération. La secrétaire le fit patienter.

Entendant des pas derrière lui, Coulombeau commença son discours tout en se retournant.  » Bonjour, docteur, j’aurais quelques questions à vous… « 

Il s’interrompit net : tout d’abord, le chirurgien était une femme, comme en témoignait la plaque sur sa blouse (Magdalena Martesi), ce à quoi il ne s’attendait guère. Mais surtout, sa peau vert pâle émettait une faible lueur qui lui faisait penser au poster Roswell luminescent dans la chambre de son fils. L’interroger relevait plus des compétences des Men in Black que de celles de Coulombeau qui se racla la gorge. Le médecin fixa sur lui des yeux violets aux pupilles verticales.

 » Au sujet d’Abu Bouara, je suppose, dit-elle. Je l’ai effectivement opéré, il avait promis de se ranger. Je suis désolée pour ce qui s’est passé à Rio. « 

Et télépathe, en plus.

Ce qu’on ignore des extraterrestres, c’est qu’ils sont très beaux. Enfin je devrais dire  » très belles « , car les mâles ont tous été exterminés. Cela remonte déjà à quelques centaines d’années. Quand le MFE (Mouvement Féministe Extraterrestre), dirigé par l’odieuse Sa Dame Hue-Saigne, décida de répandre un virus mortel qui n’atteindrait que les hommes et que nul ne put l’en empêcher. Depuis ce temps les femelles extraterrestres viennent se faire féconder sur Terre.

Le pauvre inspecteur Coulombeau ne pouvait hélas pas se douter que la lueur qui émanait de la ravissante Magdalena Martesi était caractéristique d’un désir lubrique… et mortel. Car les extraterrestres tuent leurs partenaires humains !

Nous vous épargnerons les détails de ce qui suit, car ils sont très embarrassants pour l’inspecteur Coulombeau. Quoique pas aussi embarrassants que la position dans laquelle il se trouvait le soir venu… En effet, il était en train de satisfaire les pulsions secrètes les plus glauques de Magdalena Martesi – et les siennes par la même occasion – quand un inconnu ouvrit violemment la porte, et hurla :  » Rrraaaaahhh ! Vous allez tous crever ! « , avant de se mettre à arroser copieusement la pièce des balles du fusil mitrailleur AK-47 Kalachnikov, capable de tirer 1000 fois par minute, qu’il avait apporté avec lui.

Heureusement, la position pour le moins acrobatique dans laquelle se trouvait Coulombeau interposait l’extraterrestre entre lui et l’inconnu. Ainsi, par un coup de chance extraordinaire, Coulombeau survécut à deux menaces mortelles : l’extraterrestre et le fou.

à ce moment, alors que le corps de la Martesi était transformé en guère plus que de la charpie, la chance sourit encore à Coulombeau sous la forme des 18 vigiles de l’hôpital, qui se jetèrent sur le fou, lequel ne put en abattre que trois. Les quinze vigiles restants, courageux bien que non armés (règlement de l’hôpital oblige), purent le maîtriser.

 » Alors, qui est-ce ? demanda Coulombeau(2).

– Il s’appelle Abdul Bouara, c’est le frère d’Abu Bouara, répondit le geôlier.

– Ah. Et a-t-on retrouvé quelque chose à propos de l’opération de son frère ?

– Non monsieur, on n’a rien pu retrouver dans l’hôpital. Le docteur Martesi a emporté son secret dans la tombe.

– C’est bien dommage. Elle était vraiment formidable. « 

Heureusement, l’apparition du frère d’Abu pourrait aider à résoudre un certain nombre de mystères. C’était cette pensée qui empêchait Coulombeau de céder au désespoir le plus profond. ça, et le fait que la nuit passée avec le docteur Martesi avait fait renaître sa libido, qu’il avait auparavant enterrée sous d’innombrables soucis professionnels.

En attendant de reprendre son enquête, il pouvait bien s’accorder quelques jours de détente. Le soleil d’avril chauffait les verts pâturages helvètes et Coulombeau, le cœur soudain libre après tant d’années de chaînes, se mit à marcher, marcher… respirant l’air pur le long des chemins autour de la petite ville de Montagnola.

Tous ceux qui le croisaient ne pouvaient que penser qu’il marchait au hasard. Toi-même, lecteur, n’aurais pas pensé autrement.

Pourtant, notre ami avançait d’un pas résolu, à peine perturbé par la sortie de route d’un cycliste ou la chute d’un alpiniste. Il ne remarquait même pas l’apparition brutale d’un grand type tout habillé de noir, dont l’haleine éthylique ne manquait jamais de se faire sentir, chaque fois que Coulombeau trébuchait sur une pierre. Sans doute un paysan attendant avec trop peu de patience le temps des moissons. Seul le VIIème Dalaï-Lama, réincarné par mégarde en Aiglus Helveticus, notait avec surprise que l’inspecteur décrivait, jour après jour, des cercles concentriques de plus en plus resserrés.

Au septième jour, Dieu se tourna les pouces. Et Coulombeau parvint au terme de ses mystérieuses circonvolutions : sur un versant sud perlant de rosée, étincelant du soleil matinal, une ferme. Et près de cette ferme, une vache. Mauve. Et, trayant ce bovidé étrange, une jeune et blonde fermière. Ivre de fatigue et de lumière, Coulombeau se dirigea droit vers la blonde Helvète qui se leva et lui dit :  » Viens « , l’entraînant vers la grange toute proche…

 » Huummm… Cocorico !!  » fit le coq au matin du jour suivant à 6h 30mn GMT. L’inspecteur Coulombeau s’affairait à rechercher ses vêtements dans la paille, quand Ilda, la belle Ilda parut au seuil de la grange et lui dit :

 » Viens, je dois te présenter mon grand-père. « 

Et l’inspecteur la suivit, souriant, épanoui, ravi, ruisselant de paille. Dans une petite pièce sombre de la ferme, éclairée par seulement quelques bougies, se tenait, assis sur une montagne de coussins, un petit vieux à la peau mate et aux yeux légèrement bridés.

 » Quand le désir brûle, la caresse est une fraîcheur, lança-t-il avec un sourire malicieux.

– Hein ? fit Coulombeau, à peine réveillé encore.

– Peu importe. Vous n’êtes pas ici par hasard. Nous vous avons appelé… Laissez-moi vous expliquer. Il y a de cela des lunes et des lunes, un grand seigneur namnète contraint à l’exil fonda en Orient le royaume de Bagad. Le Bagad de Naoned. Le fondateur prit rapidement la dimension d’un grand et paisible royaume, bercé par le murmure des ruisseaux et du vent dans les arbres. Tel était ce royaume devenu sultanat… jusqu’à il y a seulement cinquante ans. Car alors, Lambiwé, descendant direct du grand Naoned devint sultan. C’était un imbécile doublé d’un crétin. Le Bagad de Lambiwé ressembla très vite à un vaste foutoir (Allah me pardonne !). Al-Kafir, son fils et successeur, ne put, malgré toute sa bonne volonté, guérir le royaume du mal qui le rongeait : Jafar le comploteur avait déjà laissé s’introduire dans le pays une dangereuse famille de terroristes. Vous connaissez la suite… La diaspora des quelques bagadous survivants est peu nombreuse. Et nous sommes encore moins nombreux à connaître le secret du joyau.

Mais avant d’aller plus loin, vous devez boire le lait de Milka, notre vache sacrée… « 

&k Interlude musical &k

You and me we used to be together everyday together always I really feel that I’m losing my best friend I can’t believe this could be the end it looks at though you’re letting go and if it’s real well I don’t want to know

Don’t speak I know just what you feel so please stop explaining don’t tell me cause it hurts don’t speak I know what you’re saying and I don’t need your reasons don’t tell me cause it hurts

Our memories they can be inviting but some are altogether mighty frightening as we die hot you and I with my head in my hands I sit and cry

(chorus)

It’s all ending we gotta stop pretending who we are

You and me I can see us dying aren’t we ?

La radio, qui jouait pourtant en sourdine, avait envahi l’esprit de l’inspecteur encore troublé par le goût du lait de Milka, curieusement sucré pour du lait de vache. La fatigue le rattrapa, sa tête se mit à dodeliner, et il s’affala sur les coussins de velours.

Arriva alors une chose curieuse : Coulombeau se sentit quitter la pièce, comme porté par les ailes du Dalaï-Lama. Et il vit. Il vit les danseuses de samba de l’école Beija-Flor s’entraînant à reprendre des pas inventés par Sindbad Da Suza. Il vit sa femme, Clémentine, expliquant au commissaire Navet que, oui, elle s’en sortait très bien sans homme à la maison. Il vit le prince Abdelah à genoux devant la stèle élevée à la mémoire de Zéfira, dans laquelle étaient scellés quelques cheveux noirs et un annulaire gauche – tout ce qu’on avait retrouvé d’elle. Il vit la maison d’arrêt de Lausanne, la cellule d’Abdul Bouara, et entendit clairement la voix d’un jeune homme qui hurlait  » Bouara, salaud ! Rends-moi ma lampe !  » quelque part dans la prison.

Et puis le noir. Une vague silhouette sombre et maigre qui s’effaça à la lueur des bougies. Ilda penchée sur lui, un bol de lait dans une main, une compresse humide dans l’autre.

 » ça va ? « 

Coulombeau se releva péniblement.

 » Waouh ! Qu’est-ce que vous avez mis là-dedans ?

– Alors tu as vu, n’est-ce pas ? « 

Coulombeau, encore sous l’effet de sa vision – et des attentions d’Ilda – eut du mal à fixer son attention sur le coin sombre d’où provenait la voix. Le vieil homme souriait avec malice.

 » Laisse-moi t’expliquer : Milka n’est pas une vache ordinaire, tout comme je ne suis pas un grand-père ordinaire. Je suis né il y a 900 ans de cela, le même jour que Milka ; j’ai également un frère jumeau, Yado, vivant dans la Galaxie Farfaraway, qui est un grand maître jeudi.

Tout comme lui, Milka et moi avons une grande perception des choses de ce monde, grâce à la Forme. Je suis un maître du Samedi (j’ai toujours préféré le week-end, car on peut faire la grasse matinée ; contrairement à mon frère qui vit en spartiate dans les marécages, et mange des racines, j’ai toujours été paresseux de nature, et je préfère la campagne et le chocolat). C’est grâce à ce don que j’ai pu te faire venir à moi pour te conter l’histoire du Bagad de Lambiwé, et répondre à certaines de tes interrogations, car tu es un élu. Toi aussi, tu possèdes ce don, mais tu vas devoir apprendre à l’exploiter. Ce que tu as vu grâce au bon lait de Milka n’était qu’un maigre échantillon des possibilités qui vont s’offrir à toi… En plus ça marche aussi avec les femmes !!

Mais avant d’entreprendre ton apprentissage, si nous continuions notre histoire : puisque tu vas devenir mon disciple, laisse-moi te transmettre le secret du joyau. « 

Coulombeau était totalement abasourdi par ces révélations. Alors comme ça, pendant toutes ces années, son fameux flair était dû à sa Forme. Et maintenant, il allait devoir suivre un apprentissage. Pourvu que ça ne soit pas trop fatigant ! Quoiqu’avec un vieillard de 900 balais, ça n’allait sans doute pas être trop physique. Et puis, il y aurait toujours Ilda pour l’aider à se relaxer… Après tout, cette formation serait peut-être une bonne chose : même si cela repoussait momentanément la fin de son enquête, il pourrait peut-être résoudre tous ces mystères plus facilement quand il aurait plus de Forme. Sa décision prise, il reporta son attention sur le vieil homme qui commençait son histoire :

 » C’était donc il y a bien longtemps… « 

Si plus tard Coulombeau verrait à quel point cette connaissance était inestimable, sur le coup, il ne vit que peu d’intérêt à ce qu’il apprit. à part, évidemment, l’histoire des descendants d’Abdelah (enfin, des descendants de ses frères et sœurs, car Abdelah lui-même avait fait vœu de ne jamais aimer d’autre femme que Zéfira, et s’y était tenu, même si quelquefois ce fut dur). Enfin bref, ceux-ci avaient formé une société secrète dont le but était de lutter contre la société secrète dirigée par la famille Bouara et dont le but était de déstabiliser les gouvernements du monde, pour enfin permettre l’avènement de l’objectif ultime des Bouara : l’Apocalypse ! Il faut dire que, non contents d’avoir fondé une société secrète, ceux-ci avaient également pris le contrôle d’une secte apocalyptique et millénariste, et que leurs adhérents commençaient à douter. Il fallait donc faire arriver l’Apocalypse, ne serait-ce que par honnêteté(3). Mais bon, ça c’est la version officielle ; en réalité c’était parce que chez les Bouara, on aime bien tout faire péter.

C’est à ce point que la société secrète des Samedi (hé oui ! encore une !) entrait en jeu, car depuis des millénaires ils luttaient contre l’Apocalypse imminente.

Et maintenant Coulombeau venait de la rejoindre !

Son entraînement fut long et fastidieux, pour ne pas dire ennuyeux. Heureusement qu’Ilda était là ! Mais bon, au bout d’un certain temps, elle commençait à le lasser. Et puis, elle n’était jamais disponible, entre les enseignements du grand-père et la traite de Milka. Et comme elle faisait aussi beaucoup de bénévolat le soir, Coulombeau ne pouvait la voir que deux fois par semaine. Il prit donc le premier prétexte venu – une vision de ses amis en détresse – pour partir, contre l’avis du grand-père.

Grand bien lui en prit ! Il apprit à son retour qu’Abdul s’était enfui, après avoir dérobé une vieille lampe à huile à un codétenu. Les circonstances précises de l’évasion restaient floues ; toujours est-il qu’un mur entier de la prison avait volé en éclats.

 » Argh !  » pensa Coulombeau, ses hypothétiques amis(4) oubliés.

Mais au moins, il savait où chercher maintenant. Il utilisa ses nouveaux pouvoirs tirés de la Forme pour localiser la société secrète des descendants des neveux d’Abdelah, ce qui fut étonnamment facile.

En effet, lorsqu’il lança les tentacules invisibles de la Forme à la recherche de leur repaire, la vision qui lui vint fut celle de la maison à laquelle il tournait le dos. Sans hésiter, il mit la main à sa poche pour prendre son passe-partout.

C’est au bout de dix minutes de recherches infructueuses qu’il se souvint qu’Ilda lui avait confisqué l’objet après qu’il en eut fait usage pour s’introduire dans sa chambre. Et puis zut, il saurait bien se débrouiller autrement ! Une fenêtre, au premier étage, semblait accessible. Coulombeau entreprit donc d’escalader la façade en essayant de ne pas remarquer les passants qui le montraient du doigt. Car comme chacun sait, l’escalade n’est pas chose courante dans les vieilles rues de Lausanne…

Au moment où il se hissait par la fenêtre, l’inspecteur sentit que quelqu’un l’attendait à l’intérieur. Il n’avait pas tort, le bougre : à peine avait-il écarté les lourds rideaux qu’il se trouva face à une jeune femme armée d’un fusil à pompe pointé droit sur lui. Le connaisseur qu’il était devenu apprécia instantanément les longues boucles noires attachées sur la nuque mate, le visage aux traits fins mais déterminés, et surtout la chemise kaki particulièrement bien portée. Tendue, même, à vrai dire. Coulombeau tenta d’utiliser la Forme pour apprivoiser la belle, mais celle-ci ne répondit que par un petit sourire sadique (ou du moins est-ce ainsi qu’il le perçut).

 » Alors comme ça, la Forme est avec vous, dit-elle en abaissant son arme. Tant mieux, j’ai cru que vous étiez un de ces salauds qui bossent pour les Bouara. Mais n’essayez plus de m’avoir comme ça, j’ai reçu les enseignements d’un Samedi et je sais contrôler la Forme

.Kelvina Bouara — Dessin par Pascal

– Désolé.

– Bon, ça va ! Mais puisque vous n’êtes pas hostile, pourquoi n’êtes-vous pas passé par la porte ? « 

Coulombeau ne sut que répondre. à force d’essayer de surprendre les Bouara dans leurs repaires successifs, il en avait presque oublié qu’on pouvait entrer quelque part sans forcer le passage. Mais apparemment la jeune femme ne lui en voulait pas trop puisqu’elle lui transmit son nom sur le canal mental de la Forme : Kelvina Bouara.

 » Aucun lien de parenté, se hâta-t-elle de préciser à voix haute. Enfin si, mais assez éloigné pour les détester. Allez, venez, nous avons un monde à sauver. « 

Il la suivit dans la pièce voisine, où se trouvaient déjà 5 autres personnes, qui se levèrent à leur arrivée.  » Ce sont nos compagnons de route, dit Kelvina. Mais je ne peux pas vous dire leur nom. Chacun doit en savoir le moins possible au cas où les Bouara le démasquerait. La torture est ce qu’ils font le mieux, à part poser des bombes bien sûr ! Allons-y.  » Les sept s’engagèrent dans le couloir, qui devint bientôt un véritable labyrinthe. La maison par laquelle Coulombeau était entré n’était que la porte d’entrée d’un vaste réseau, qui semblait s’appuyer sur celui des égouts mais dont les autorités ne soupçonnaient probablement même pas l’existence. Seul celui que Kelvina désignait sous le nom de code  » Eddie  » semblait se retrouver dans ce dédale. Ils marchèrent longtemps et virent des choses étranges : un bateau en papier qui avançait dans une rigole d’eau, un livre d’école gonflé par l’humidité, et au tournant suivant le cadavre en décomposition de ce qui avait dû être un jeune garçon ! Peu à peu, l’allure du tunnel changea, le sol devint sec et les murs s’élargirent. Coulombeau avait une désagréable impression de déjà vu : cela lui rappelait des romans d’horreur.

Ils arrivèrent finalement à une porte étonnamment petite.  » C’est là, entrons. » dit Kelvina. Coulombeau franchit la porte, leva les yeux… et se sentit défaillir : devant lui se tenait une chose à la forme monstrueuse, vaguement arachnoïde, qui le regardait de ses dizaines d’yeux luisants… un immense ordinateur, réalisa-t-il tandis qu’il reprenait contrôle de soi grâce à la Forme.  » Bienvenue dans notre quartier général  » lui dit un homme majestueux qui se dirigeait vers eux. La Forme émanait de lui en vagues puissantes.  » Vous êtes l’homme qu’il me faut, dit-il. Pour notre prochaine mission. Nous avons enfin l’occasion de détruire les Bouara ! Dans une semaine exactement, ils se réuniront au QG de leur secte, la basilique Saint-Pierre de Rome, pour faire le bilan de la vague d’attentats qui a secoué le monde. Vous devrez vous introduire parmi la masse des fanatiques, qui s’y sont regroupés pour y attendre la fin du monde. Vous irez avec Kelvina, car vous deux seuls avez la Forme pour réussir, et les hommes qui vous ont accompagnés ici vous introduiront dans la secte.  » Il soupira.  » Voilà, c’est tout ce que vous devez savoir. Et n’oubliez pas que le sort de monde est entre vos mains !  » Il sourit.  » Un dernier détail : à partir de maintenant, votre nom de code sera Folk, Peter Folk. Maintenant, je vous conseille d’aller vous reposer.  » Et il s’éloigna. Coulombeau, Jean-Yves Coulombeau – euh non, Peter – se retourna vers Kelvina…

 » Que diriez-vous d’aller prendre un verre pour nous remettre de nos émotions et pour mettre notre plan au point ? « 

 » Avec joie… Je serai ravie de vous inviter chez moi, j’ai justement un délicieux bourbon qui n’attend que des glaçons pour se laisser déguster. « 

C’est du moins ce que sa bouche articula car les pensées que Coulombeau sentit grâce à la Forme étaient d’une tout autre tournure : c’était une sorte de promesse que la prochaine heure serait riche en émotions fortes. Une vague d’excitation le submergea et il dit seulement  » Allons-y ! « 

Ils sortirent de la base par une sortie plus pratique que le labyrinthe des égouts. Ils débouchèrent dans une des petites rues pittoresques et en pente de la ville de Lausanne. Le genre de petite rue dans laquelle vous n’auriez pas aimé vous retrouver après 18h si vous étiez dans une autre ville. Mais ici, à Lausanne, ce genre de petite rue ne pouvait qu’être pittoresque. Comme ils se trouvaient vers le haut de la rue, ils avaient une vue agréable sur les maisons du XVIIème, à colombages avec leurs balcons en fer forgé et les géraniums aux couleurs bigarrées qui s’épanouissaient aux fenêtres. Les demeures semblaient se pencher sur la rue pour préserver la paix qui y régnait. Quand on levait les yeux on voyait une mince bande du ciel d’un bleu pur qu’on trouve uniquement dans les montagnes. En suivant le chemin bleu qui serpentait entre les toits, jusqu’au bout de la rue, on apercevait un des sommets enneigés des Alpes qui gardaient Lausanne dans leur cocon de tranquillité, faisant un havre de paix dans l’écrin des montagnes. Devant le spectacle, Coulombeau sentit son cœur bondir dans sa poitrine et il se sentit heureux comme quand il avait dix ans : il prit la main de Kelvina et se mit à courir dans la pente en poussant des cris de joie.

Elle l’arrêta, essoufflée, devant le n°15 et sortit une clé de sa poche. Dans le hall, l’air frais émanant des vieilles pierres calma un peu leur ardeur tout en les enveloppant d’une aura d’intimité prometteuse. Le vieil ascenseur en bois les monta au quatrième avec les craquements poussifs qu’on s’attendait à y trouver et les déposa en douceur devant l’appartement de Kelvina.

 » Tu prends un whisky ?  » lui susurra-t-elle.

 » Juste un doigt. « 

 » Mais avant, tu prendras bien un whisky ? « 

Coulombeau soupira : décidément, Kelvina connaissait bien ses classiques(5). Il la suivit dans un petit salon dont les immenses fenêtres donnaient sur le lac Léman, scintillant comme un immense saphir par cette belle journée de printemps. La jeune femme lui tendit un whisky, puis posa un gros paquet de feuilles sur la table basse.

 » Viens voir un peu par ici, s’il te plaît  » murmura-t-elle.

En s’approchant, Coulombeau reconnut le plan d’un bâtiment qu’un vieux souvenir de cours d’histoire lui permit d’identifier comme une nef d’église. Saint-Pierre de Rome, sans doute. Il avala une gorgée de whisky pendant que Kelvina dépliait un autre plan. Les salles étaient petites, les couloirs nombreux ; aucun signe de fenêtre.

 » Le repère des Bouara, expliqua la jeune femme. Au niveau de la crypte. Des hommes à nous se sont fait tuer pour obtenir ce plan.

– Et que comptes-tu faire ?

– Je ne sais pas. Une fois que nous nous serons introduits parmi les fidèles qui attendent l’Apocalypse, nous pourrons aller et venir, mais dans un périmètre limité. Impossible d’assister aux délibérations.

– Nous pourrions utiliser la Forme… En nous approchant suffisamment, nous capterions les pensées des Bouara, et le tour serait joué.

– Même pas ! La foi des membres de la secte est si puissante que leurs pensées couvriraient n’importe quel conseil secret. Y compris celui-ci. Le monde entier compte sur nous, mais là, je crois qu’on est coincés. Si seulement ces salauds n’avaient pas la lampe ! « 

Constatant que son partenaire ne voyait pas où elle voulait en venir, Kelvina expliqua rapidement que la lampe à huile volée par Abdul Bouara possédait un pouvoir immense, qui pouvait être bénéfique ou maléfique selon le souhait de son propriétaire. Les Samedi l’avaient offerte à un certain Alain Daim, jeune délinquant qui ignorait tout de son pouvoir et qui, pensaient-ils, n’attirerait jamais l’attention des Bouara. Hélas, ceux-ci avaient fini par apprendre qu’Alain et la lampe avaient été incarcérés à Lausanne pour vol d’autoradios ; Abdul Bouara s’était alors arrangé pour se faire arrêter et s’enfuir avec le précieux objet. Et maintenant, les Bouara comptaient s’en servir pour précipiter la fin du monde !

 » Je vois, dit Coulombeau. La situation me semble désespérée, non ?

– Effectivement. Si nous n’étions pas les gentils de cette histoire, je laisserais tomber tout de suite et je me consacrerais plutôt aux plaisirs de la chair. Mais bon, l’avenir du monde est en jeu, non ?

Etrangement, il n’existe pas de trace écrite de ce que dit Coulombeau à ce moment. Par contre, on sait ce qu’il dit ensuite :

 » Vous m’avez donné une idée. Nous sommes les gentils de cette histoire, non ?

– Oh, ça ne fait aucun doute.

– Et les Bouara sont les méchants de l’histoire, n’est-ce pas ?

– Certainement.

– Bon, eh bien il n’y a plus de problème : tout le monde sait bien que les méchants, quand ils capturent les gentils, les attachent dans une pièce pleine d’objets coupants(6), leur expliquent leur plan machiavélique et leur indiquent comment les battre(7). Nous n’avons donc plus qu’à synchroniser nos montres, et après nous irons voir les Bouara.

– C’est un plan ingénieux. Mais il y a une grosse lacune.

– Laquelle ?

– Je n’ai pas de montre.

– Ce n’est pas grave, je vais synchroniser ma montre tout seul. « 

Et c’est ainsi qu’une semaine plus tard, Coulombeau et Kelvina se retrouvèrent enchaînés dans les oubliettes de la Basilique Saint-Pierre de Rome . Malheureusement, il n’y avait pas d’objet tranchant – et d’ailleurs, il aurait fallu une lame bien acérée pour couper les chaînes d’acier trempé qui remplaçaient les cordelettes que Coulombeau avait espéré. Le pire, dans cette situation n’était pas le rire dément d’Abdul Bouara. C’était le regard assassin de Kelvina.

 » Vous savez, dit Bouara, ce genre de plan, ça ne marche pas dans la réalité, mais juste dans les histoires.

– Ben, justement, répliqua Coulombeau

– Ah ? Bon, eh bien je vais vous expliquer notre plan : grâce au pouvoir de la lampe, amplifié par la foi de nos fidèles et la puissance du côté obscur de la Forme, nous allons provoquer une légère excentricité dans l’orbite de la Lune, qui va finir par la précipiter sur la Terre ! Bon, eh bien maintenant que je vous ai expliqué mon plan machiavélique, je vais aller déclencher le tout. Ah, une dernière précision : même si vous parvenez à vous enfuir, vous ne pourrez plus rien changer : d’ici cinq minutes, la lune aura changé d’orbite ; et dans quatre jours, deux heures et vingt-six minutes, le monde ne sera plus ! Ha ha ha ha ha !!!!!

Sur ce, Bouara leur tourna le dos et quitta la pièce.

Les soupirs conjugués de Coulombeau et Kelvina firent trembler les nombreuses toiles d’araignées qui tapissaient les murs de leur sinistre et humide cachot. L’eau suintait en larmes fines sur le sol pavé des oubliettes. On aurait dit les pleurs lents du désespoir. D’ailleurs, n’entendait-on pas des petits gémissements ? Non, ce n’était pas la rancunière Kelvina : cette dernière ne pensait qu’a la bêtise de cet inspecteur Machin, jurant entre ses dents serrées qu’on ne l’y reprendrait plus, blasphémant même en insultant le nom de Milka. Ces gémissements n’étaient pas humains. Dans le creux d’un mur fendu par les siècles, un rat pleurait.

 » Comment cela est-il possible ? Deux fois de suite ! Ne suis-je donc pas encore bodhisottva ? Combien de temps devrais-je donc encore souffrir dans le samsora ? ! « 

Le VIIème dalaï-lama était sur le point de perdre la foi en Bouddha… quand il entendit la voix guillerette (ou presque) de J.Y. Coulombeau :

 » Tant qu’y a d ’la vie y ’a d’l’espoir ! « 

L’inspecteur désigna du menton les clefs des cadenas qui fermaient leurs chaînes, négligemment oubliées sur une table à moins de cinq mètres des prisonniers(8).

 » Imbécile ! » pensa Kelvina.

En effet ils étaient tous les deux fermement attachés à un mur bien solide. Tout se passa alors très vite : un rat tout maigre apparut devant eux, leur jeta un coup d’œil furtif puis courut vers la table, y grimpa, prit le trousseau de clefs dans ses incisives, revint vers Coulombeau, se démena – Bouddha seul sait comment – pour ouvrir le cadenas. L’inspecteur était libre. Il délivra aussitôt Kelvina, stupéfaite, effarée, interrogeant des yeux le sourire béat de Coulombeau. Pendant ce temps, le rat s’était empressé de s’engouffrer dans la large poche gauche de Coulombeau.

 » Je me suis certainement trompé dans ma toute dernière méditation. Il faut que je compulse le Sutra du Grand Sout. D’abord, sortir d’ici ! Pourvu que ces deux là se rendent à Dahramsola ! « 

 » Pas le temps de lambiner ! s’exclama Coulombeau en entraînant hors de la pièce une Kelvina déboussolée. Il faut retrouver nos ennemis avant qu’ils n’utilisent la lampe d’Alain Daim ! « 

Tous deux s’élancèrent dans le couloir sans trop savoir où ils allaient, espérant que la forme les guiderait. Soudain, juste devant eux, une porte s’ouvrit, une femme sortit et l’inspecteur, emporté par son élan, la percuta de plein fouet. Il lui fallut un bref instant pour reprendre ses esprits après quoi il lui tendit la main pour l’aider à se relever… et reconnut sa propre femme.

 » Clémentine ! Mais que fais-tu là ?

– Je cherche Luc, Jean-Yves, répondit-elle d’une voix lourde d’angoisse et de colère. Tu as un fils, tu te souviens ? Eh bien, il est ici, parmi les fidèles qui attendent l’apocalypse et j’ai bien l’intention de le sortir de trou à rats.

– Restez polie, fit une voix qui sortait de la poche de l’inspecteur(9).

– Tu veux dire que Luc est dans l’église ? reprit Coulombeau. Mais pourquoi ?

– Parce qu’il fait partie de la secte, tiens ! Lui et tous ses copains croient dur comme fer qu’après l’Apocalypse, Abu l’Ancien reviendra pour les ressusciter. « 

C’est alors que Clémentine Coulombeau remarqua que son mari et Kelvina portaient l’habit noir des membres de la secte. Elle eut un mouvement de recul.

 » Oh non ! Toi aussi, tu y crois ! « 

Elle s’effondra. Coulombeau, passant son bras autour d’elle pour la soutenir, posa les yeux sur les boucles d’oreille en rubis, hors de prix mais si belles, qu’il lui avait offertes quelques années auparavant. Un souvenir revint à son esprit, lui révélant soudain une vérité à laquelle il n’avait point songé.

 » Bon sang, mais c’est bien sûr !

– Peter ? « 

C’était Kelvina. Ils l’avaient presque oubliée.

 » Changement de programme, expliqua-t-il très vite et d’une voix hachée, si bien que la jeune femme eut quelques difficultés à comprendre ses paroles.

– J’ai enfin compris le véritable rôle du joyau. Tu connais le joyau des Samedi, Kelvina ?

– Bien sûr, c’est un rubis amené sur Terre par Naoned, qui fut dérobé par les Croisés en 1071…

– Parfaitement. Il se trouve au musée du Vatican, à deux pas d’ici. Si j’ai bien raisonné, il devrait pouvoir contrer les effets de la lampe ! Emmène Clémentine et essayez de le récupérer, moi, je dois retrouver mon fils. « 

Des heures durant, il parcourut le Vatican, d’Est en Ouest et de bas en haut (ça faisait un circuit de trois minutes tout au plus), mais en vain. Il pensait à son fils au mains de la secte et à la Lune qui en ce moment même se rapprochait de la Terre… Il commençait à désespérer. A ce moment, Coulombeau pensa abandonner.

 » Il suffit de patienter quatre jours et tout sera fini. « 

Mais il pensa à ses lecteurs(10) et se dit qu’ils ne méritaient pas une telle fin.

 » Après tout, je suis le héros. Quoi que je fasse, je gagnerai forcément. « 

Et, mettant son idée à exécution, il s’assit à la terrasse du café voisin. Il avait fait le bon choix : il ne s’était pas écoulé une minute qu’il remarqua de l’agitation du côté du musée. Kelvina et Clémentine avaient réussi à dérober le joyau après maintes péripéties(11). Elles se dirigèrent en courant vers Coulombeau. Malheureusement, Kelvina trébucha et le bijou s’éleva dans les airs. Il fut rattrapé dans sa chute par un jeune homme. Etouffant une exclamation, Coulombeau rentra en scène :

 » Luc, donne-moi ça immédiatement !

– Pas question, j’en ai besoin pour sauver le monde.

– Le Sauveur du Monde, ici, c’est MOI, alors tu me le donnes ! « 

La garde des Bouara interrompit là ces tendres retrouvailles. Au cri de  » Tout le monde par terre ! Couchez-vous !! », elle se mit à tirer dans leur direction.

 » Tous à la voiture  » cria Coulombeau qui songea avec désespoir à son verre de liqueur aux racines de chêne et au jus de feuilles de patates – le premier depuis le début de cette aventure – qu’il abandonnait presque intact.

Ils partirent au pas de course, échappant miraculeusement aux balles sifflant tout autour d’eux(12). Ils se jetèrent dans la voiture qui démarra aussitôt et partit dans un grand bruit de caoutchouc brûlé(13). Ils étaient maintenant en sécurité (la voiture était blindée contre les missiles, indétectable et tout et tout)

C’est ce moment que choisit le VIIème Dalaï-lama pour faire une apparition qui aller entrer, cette fois, dans les annales de l’Histoire :un rat sortit de la poche de Coulombeau, grimpa sur sa tête et dit solennellement :

 » Si vous m’emmenez à Dahramsola , je vous explique comment utiliser le joyau pour restaurer l’orbite de la Lune et détruire les Bouara.

– Fantastique ! s’écria Coulombeau. Bientôt les Bouara ne seront plus qu’un mauvais souvenir et on pourra fêter ça en famille… Clémentine ! On a oublié Clémentine ! « 

Et effectivement, Clémentine avait disparu dans la confusion de leur fuite.

Pendant ce temps, quelques kilomètres plus loin…

Quatre sinistres individus venaient d’apparaître sur le bord de la route. Quelques secondes plus tard, quatre magnifiques Harley-Davidson customisées apparurent à côté d’eux.

 » Qu’est-ce que c’est que ces chevaux ? dit celui qui n’était pas lavé, pas rasé et dont l’odeur était tellement forte qu’elle en était visible.

– Bah, des trucs modernes. Tu vois, tu t’assois sur la selle, là, et puis tu tiens les rênes comme ça… dit le grand baraqué.

– Des rênes en fer ? C’est pas un peu idiot comme idée ? dit le petit maigre.

– PEU IMPORTE. ON VA QUAND MEME ESSAYER, dit le grand très, très maigre.

Vittorio Tortelli s’ennuyait bien dans sa voiture. C’était d’ailleurs le problème principal quand on était représentant de commerce : les longues heures en voiture. En plus, la radio ne voulait jouer que de la musique religieuse (requiems, adagios, toccatas…). C’est pourquoi son attention fut facilement distraite par les quatre olibrius avec leurs motos sur le bord de la route – visiblement, ils n’avaient jamais entendu parler de clés de contact, ni de mécanique en général, d’ailleurs.

 » Probablement un cirque ambulant  » se dit Vittorio alors que le plus musclé des quatre (une grosse brute avec une grande épée à son côté) donnait des claques violentes à l’arrière de sa monture.

Ce fut avec regret que Vittorio dépassa les motards-clowns pour retomber dans l’ennui terrible de la route. Heureusement, ça ne dura pas longtemps : au bout de quelques kilomètres, il croisa une voiture criblée de balles (bien qu’étrangement la carrosserie ne soit pas percée(14)) poursuivie par quelques courageux gardes suisses du Vatican à pied(15).

 » Ca doit être le tournage d’un film  » se dit Vittorio, se tournant pour examiner avec admiration le blindage de la voiture (il en vendait de tels). Malheureusement, comme il ne regardait pas la route, il rentra en collision avec le premier garde suisse…

 » BONJOUR, MONSIEUR TORTELLI(16).

– Ah, je vous ai vu tout à l’heure… J’ai bien aimé votre numéro avec les motos, dit le spectre de Vittorio.

– AH ? EUH…VOUS SAVEZ DOMPTER CES MACHINES ? demanda la Mort.

– Bien sûr : avant d’être représentant de commerce pour Blindages & co, j’étais comptable chez Harley-Davidson.

– AH ? EST-CE-QUE JE PEUX VOUS DEMANDER UN SERVICE ? « 

Pendant ce temps, dans la voiture, Coulombeau avait vu avec soulagement les gardes suisses se faire écraser. Maintenant, il pouvait demander à son complice anonyme qui était au volant de s’arrêter. Il sortit de la voiture et chargea Kelvina et Luc d’emmener le Dalaï-lama en Inde, pendant que lui irait au pas de course retrouver sa femme… après tout, que risquait-il ? La Forme était avec lui, non ?

Clémentine était restée pendant tout ce temps assise derrière la vitre du café  » Il Papa « (17). L’inspecteur était tout à sa joie de retrouver sa douce épouse, la tête pleine de souvenirs de plus de dix ans, lorsqu’il l’avait rencontrée à l’aéroport de Toulouse. Une aviatrice, une fille de l’air… Mais ce qu’il lut sur le visage de sa chère et tendre lorsqu’elle se leva brusquement en l’apercevant était autre. Certainement, c’était tous ces cafés, ces mauvais espressos qu’elle avait bus en attendant. Comment son  » petit fruit sucré « (18) pouvait-elle s’être transformée en furie ? Heureusement, après une bonne heure de cris et de reproches, le champagne servi dans leur suite au Plaza aidant, l’atmosphère se fit plus calme. Enfin, il retrouva dans ses yeux ce qui l’avait toujours attiré : sa passion mêlée de tendresse, la promesse de hautes altitudes… Hélas, trois fois hélas !

 » Je dois être fatigué ! Ce n’est pas possible ! Pourtant ces derniers jours, ça se passait plutôt bien… Enfin, heu, je veux dire : je ne comprends pas. « 

Dépité, le  » grand lapin « (18) laissa retomber ses longs oreilles bras après avoir haussé les épaules. Le décollage n’avait pas eu lieu. En fait de septième ciel, l’avion était resté au ras du sol. Panne sèche !

Coulombeau dormit mal. Clémentine rêva de goélands décrivant des loopings épatants dans un ciel sans nuages. Au petit matin, à l’heure pâle(19) où se lève le Nantralien, Coulombeau prit son vieil imper et sortit, glissant timidement en fermant la porte un  » je vais chercher les croissants  » à Clémentine qui avait ouvert un œil. Dehors, la ville éternelle s’agitait déjà, traversée de scooters et de pots de yaourt, vibrant des mains qui parlent trop fort des parigots de la botte. Coulombeau avait beaucoup de mal à marcher. Après avoir allumé un cigare au tilleul(20) à moitié grignoté qu’il avait retrouvé dans sa poche gauche, pour se rassurer, notre héros dut se rendre à l’évidence : la Forme était en train de le quitter. A la recherche d’une boulangerie, Coulombeau stoppa net devant un petit immeuble à l’enseigne tape-à-l’œil :  » Con Vita Forma, Rittrivire Totte La Forma ! « . Cela, il pouvait encore le sentir : c’était un centre de remise en Forme ! Le cœur battant à vingt à l’heure(21), Coulombeau pénétra dans la salle de sport embuée de l’odeur du cuir et de la sueur mêlées. Un mastar africain à la carrure de boxeur montait la garde devant une porte derrière laquelle, il le sentait, se trouvait une grande source de Forme.

 » Où tu vas comme ça, mon gars ?, fit le colosse à l’accent typiquement burkinabé en lui barrant la route.

– Je veux retrouver la Forme. Laissez-moi passer !  » répondit Coulombeau avec emphase, le regardant droit dans les yeux.

Le grand noir balança lentement son index boudiné devant lui, puis tourna légèrement la tête pour tendre l’oreille. Visiblement, il attendait un mot de passe, un sésame, une sentence magique. Coulombeau en profita pour lui décocher sa plus belle droite. Il n’eut pas le temps d’enchaîner avec un crochet du gauche que le colosse lui avait déjà asséné sa droite à lui, suivie d’un uppercut du gauche pourtant retenu qui mit Coulombeau à terre. La bouche en sang et l’esprit pas trop net, l’inspecteur se résolut à prononcer le sésame :

 » Bon, OK.

– Alors ? J’attends.

– S’il vous plaît…  » murmura Coulombeau.

Le grand noir s’appelait Ali T. et tel était aussi le marabout M’Bou, grand Samedi de Ouagadougou, en vacances en Italie. D’une voix caverneuse, tremblant de tous ses membres, M’Bou s’expliqua :

 » J’ai la fièvre du Samedi Noir. « 

Coulombeau tomba à genoux, les mains jointes et les yeux fermés.

 » Prends ceci, mon fils « 

Coulombeau referma la bouche sur cette hostie du Samedi (bien meilleure que celle du dimanche, pensa-t-il en se remémorant les rites familiaux de son enfance).

Quand il fut de nouveau dans les rues, Coulombeau se dit que c’était la première fois qu’un simple carré de chocolat lui faisait un tel effet. De nouveau, il avait la Forme, la Pèche, la Patate, le Niak… C’était bon !

Il passa devant le cinéma  » Il Paradiso « , aperçut l’affiche du film  » Li Visittore III « , une adaptation d’un minable film français. Même le cinéma italien était en train de mourir. C’était vraiment la fin du Monde.

De retour au Plaza, Coulombeau prit le temps de dire un long bonjour à Clémentine… jusqu’à ce que le téléphone sonne. C’était Luc.

 » Allo ? Papa ?

– C’est moi, Luc. Où es-tu ?

– Je suis au monastère de Dhramsl… Daramelssme… Drrosass…

– OK, OK, je vois. Et ça se passe bien avec Kelvina ?

– Oh oui Papa ! « 

Coulombeau fronça les sourcils. Qu’allait-il imaginer ? Après tout, le gosse n’avait que treize ans.

 » Papa ? Il faut venir ici avec le joyau, vite ! On a besoin du joyau ! Surtout… « 

La ligne avait été brutalement coupée.

Il restait à peine deux jours ! Il leur faudrait retrouver le joyau et trouver un avion pour New Delhi ! Les vols réguliers étaient trop rares… Comment faire ? ! Clémentine lui lança un clin d’œil… Ce ne fut qu’au bout de quelques instants que Coulombeau se souvint qu’il avait laissé l’objet à Kelvina… Que s’était-il passé ?

L’inspecteur tournait en rond depuis cinq minutes quand ses réflexions affolées furent interrompues par l’arrivée dans la rue de quatre Harley-Davidson pétaradantes qui, au bruit, avaient dû s’arrêter au pied de l’hôtel. Jean-Yves et Clémentine Coulombeau se précipitèrent à la fenêtre (pour voir ce qu’il se passait, mais est-il besoin de le préciser ?).

Les motards avaient en effet stoppé leurs machines juste devant l’entrée du Plaza, où les attendait une femme qui aurait pu avoir l’air d’une touriste avec sa longue robe de lin et ses sandales, tenue très adaptée à cette belle journée de juin. Mais ses cheveux très noirs, tressés en dreadlocks, étaient ceints d’un ruban rouge dans lequel elle avait piquée une plume d’ibis. Et jusqu’à preuve du contraire, cette coiffure n’était pas à la mode…

 » MAâT ! QUELLE BONNE SURPRISE ! s’exclama le plus maigre des motards en mettant le pied à terre. CE N’EST PAS SI SOUVENT QU’ON TE VOIT DANS LE COIN !

– Bonne surprise… ça dépend pour qui, répondit la jeune femme. Il y a eu un petit conseil ce matin, et je peux te dire qu’Osiris n’apprécie pas du tout que tu lui aies envoyé tout un car de touristes égyptiens hier.

– LES GARDES DES BOUARA LES ONT ABATTUS. JE N’AI FAIT QUE MON BOULOT.

– D’accord, admit Maât. Mais comprends que je perds pas mal de crédibilité dans l’histoire, moi qui suis censée garantir la paix et la justice à mon peuple. Parce que trente-cinq innocents massacrés, ça ne ressemble guère à de la justice, mon vieux. « 

Elle s’interrompit le temps de rajuster sa plume, puis reprit son discours face à une Mort très calme.

 » Bon en tout cas, pour sauver le monde, c’est pas gagné. Figure-toi qu’en territoire hindou, Ganesh, le dieu de la Chance, a cru bon de faire perdre le joyau des Samedi à Kelvina Bouara ! Du coup, elle est persuadée que c’est Coulombeau qui l’a, et…

– EN D’AUTRES TERMES, ON N’EST PAS DANS LA MERDE, conclut la Mort, qui avait le sens de la synthèse.

– Heu… Je suis toujours là « , hasarda Coulombeau.

Les cinq protagonistes levèrent la tête, et en un clin d’œil, la Mort avait disparu, tandis que Maât se rematérialisait dans la chambre d’hôtel. Elle expliqua longuement les raisons de sa venue au couple Coulombeau (en gros, dire au héros de se magner un peu le train avant qu’on soit tous raides), puis leur révéla où trouver le rubis perdu par Kelvina.

 » Un riche brahmane doit regagner l’Inde aujourd’hui à bord de son jet privé, ajouta-t-elle. Vous avez deux heures pour l’intercepter. Horus soit avec vous ! « 

Et elle disparut, laissant un parfum d’épices dans la pièce.

 » Si les dieux sont avec nous, tout va bien, conclut Coulombeau.

– Les dieux égyptiens sont avec nous, mon amour, rectifia sa femme, en lui tendant sa chemise(22) (qu’il n’avait pas eu le temps de remettre). Et nous allons en territoire hindouiste et bouddhiste… Là-bas, ni Maât ni les autres ne pourront plus rien pour nous. « 

Coulombeau et Clémentine empilèrent en hâte des vêtements dans leur valise, s’habillèrent et foncèrent vers l’aéroport. Mais le Destin se ligua contre eux : il leur fallut une heure et demie pour trouver un taxi, et cinq heures pour traverser la ville à cause des embouteillages. Coulombeau fulminait et agitait furieusement sa valise dans les couloirs de l’aéroport. C’est quand il rentra dans les quatre gorilles de la mafia new-yorkaise en vacances d’affaires dans la région(23), que tout commença à empirer. Avant qu’il n’ait eu le temps de s’excuser, Coulombeau se retrouva sur le chemin de l’hôpital.

Quand il sortit du coma deux jours plus tard, la première chose qu’il dit fut :

 » Wouah, la gonzesse ! « 

Heureusement, il reprit vite ses esprits (peut-être en parte grâce à la gifle monumentale que lui envoya Clémentine). Il ne restait plus guère qu’une heure avant la rentrée de la Lune dans l’atmosphère terrestre ! Coulombeau réfléchit rapidement : devait-il désespérer ? C’est alors qu’il eut une vision d’Ilda et de son grand-père chevauchant Milka à travers les cieux, précédés de la douce musique céleste qui accompagne toujours ce genre de vision(24). Le frère de Yado tourna lentement la tête vers Coulombeau et prononça ces paroles :

 » Que signifie le temps quand l’heure du retour du Samedi est arrivée ? Stopper la Lune tu dois.  » Décidément, ces grands maîtres cosmiques n’avait aucun respect pour la grammaire, pensa Coulombeau, qui soudain eut une idée. Il se leva, s’habilla à la hâte, et posa une étrange question à sa femme :

 » Dis-moi, Clémentine, aurais-tu un poignard sur toi ?

– Mais bien sûr, Jean-Yves, tu sais bien que j’ai toujours la dague de mon arrière-grand-mère avec moi, dit Clémentine en lui tendant un énorme couteau extrêmement affuté.

– Bien. Bon, tu m’excuseras, mais il faut sauver le monde, c’est pour la bonne cause.  » dit Coulombeau en levant le poignard. Et Clémentine pouvait lire le meurtre au fond des yeux de son mari. Il fit un pas en avant… Et, heureusement pour Clémentine, son pied se posa sur une fourmi qui passa instantanément de vie à trépas.

 » C’EST FINI, 103° « , dit un grand type en robe noire qui était soudain apparu au milieu de la pièce.

 » Hé ! Vous, là ! dit Coulombeau, alors que le grand type en question donnait un ample coup de faux.

– OUI ? VOUS DESIREZ, INSPECTEUR ? demanda la Mort.

– Vous savez bien ce que je veux.

– TOUT CECI EST TRES IRREGULIER.

– Je ne vous le demanderais pas si j’avais le choix… Mais vous savez, l’Apocalypse, ça va casser votre boutique.

– BON. SOIT. ALLEZ Y, dit la Mort en indiquant un grand cheval blanc sur le balcon. IL VOUS EMMENERA OU VOUS VOULEZ. DE TOUTE FAçON, J’AI UNE AUTRE MONTURE, BIEN QUE JE N’AIE TOUJOURS PAS COMPRIS OU ON MET LE FOIN.

– Merci, Monseigneur, dit Coulombeau en entraînant Clémentine sur le balcon.

– DE RIEN. AH, AU FAIT, VOUS POURRIEZ M’INDIQUER UN MARECHAL-FERRAND ?… AH MERDE, dit la Mort en voyant que l’inspecteur n’avait pas attendu la question pour s’envoler vers l’Inde.

Quelques nanosecondes plus tard, quelque part en Sibérie(25), trois types étranges montés sur Harley-Davidson furent rejoints par un quatrième.

 » Ah. Qu’est-ce qui t’a retenu si longtemps ? demanda la Guerre.

– UNE FOURMI.

– Une fourmi ? Mais c’est ridicule ! s’exclama la Famine.

– Bon, toujours est-il que nous n’avons pas trouvé comment faire repartir ces chevaux, dit la Pestilence.

– IL VA FALLOIR TROUVER UN AUTOCHTONE, dit la Mort, POUR NOUS EXPLIQUER COMMENT DRESSER CES BETES CORRECTEMENT.

– Ouais, ça n’a pas l’air de courir les rues, les autochtones, dit la Guerre, en scrutant l’horizon qui était désespérément vide de toute présence humaine.

A peu près au même moment, au Canada…

Giorgio Tortelli (qui avait quitté son Italie natale quelque temps auparavant en laissant à son frère Vittorio la responsabilité des affaires familiales) se préparait à sortir de chez lui.

 » Couvre-toi bien, mon chéri, lui dit sa femme. Il pleut fort.

– Ma qué, femme, c’est normal, c’est la période de la mousson.

– La mousson au Canada ?

– Ma, si, bien sour, ça n’arrive qu’oune fois tous les sept cent cinquante ans, c’est tout.

– Ah, je me disais bien que ce n’était pas une pluie normale,  » dit sa femme alors que Giorgio fermait la porte derrière lui.

Elle entendit un choc, et soudain Giorgio rentra en se tenant la tête dans une main. L’autre main tenait un énorme saumon.

 » Femme, il pleut des poissons ! dit-il.

– Ce n’est rien, chéri, c’est juste un signe que l’Apocalypse approche.

– Et on a le droit de revendre ces poissons ? « 

Simultanément(26), dans la demeure d’un riche brahmane à New Delhi…

Vishvanathan Krishna était très heureux de sa dernière « acquisition ». Le rubis était incomparable, que ce soit en taille ou en pureté. Et dire qu’il l’avait trouvé au milieu de la route de l’aéroport de Rome ! Pour un coup de chance, c’était un coup de chance. Surtout pour un collectionneur de rubis tel que lui…

Il reposa la pierre dans son écrin, referma la vitrine blindée, brancha les diverses alarmes, ferma les portes multiples du coffre-fort et posta les gardes devant la porte. Bien rusé serait le voleur qui déroberait le joyau !

A peine fut-il sorti de la pièce qu’un grand cheval blanc se matérialisa au milieu du coffre-fort. Il ne fallut à Coulombeau que quelques secondes pour forcer la serrure de la vitrine, s’emparer du joyau, et remonter sur le cheval. Quand enfin les gardes alertés par les alarmes eurent ouvert le coffre-fort, il ne restait qu’un petit tas de crottin au milieu de la pièce.

La chance avait tourné.

Il ne restait plus guère que vingt-cinq minutes quand nos héros, enfin réunis dans le monastère au nom imprononçable, purent commencer à invoquer la Forme et la puissance du joyau. Malheureusement, d’autres sentirent les remous dans la Forme, et le hideux Abdul Bouara apparut dans la pièce. Il avait évidemment utilisé le pouvoir de la lampe pour se téléporter au sein même du temple de Dramassi… Dalomissa… enfin, le temple, quoi.

 » Aha ! dit-il, car, en bon méchant de l’histoire qu’il était, il devait se conformer à un bon nombre de conventions.

– Vous ne triompherez jamais, dit Coulombeau, se détournant du joyau, et laissant Kelvina et le Dalaï-Lama seuls à se concentrer.

– Tu es faible, Jean-Yves, dit Bouara, en envoyant une décharge électrique dans le corps de ce dernier.

– Aaargh !  » dit Coulombeau à l’agonie.

Et soudain, un pan de mur implosa et l’on put voir une silhouette émerger de la lumière aveuglante. C’était un jeune homme tout de blanc vêtu, avec une coupe de cheveux ridicule et un bâton lumineux à la main.

 » Tremble, Bouara ! Car le Samedi est de Retour ! dit Alain Daim, puisque c’était de lui qu’il s’agissait.

– Pardon ? dit Coulombeau, qui pensait que le Samedi, c’était lui. Je pensais que le Samedi, c’était moi.

– Non… Il existe un autre Coulombeau, dit le grand maître du Samedi qui venait de se matérialiser.

– Mais, maître… Vous voulez dire que c’est mon petit frère Alaim, qui a disparu à l’âge de cinq ans, enlevé par les OVNIs ?

– Ton frère, il est(27), dit le maître.

– POUR QUELQUES MINUTES ENCORE, annonça la Mort, en apparaissant.

– Parce qu’au rythme où ça va, on n’arrivera jamais à sauver le monde à temps, énonça Milka, montrant pour la première fois de son existence qu’elle était douée de parole.

– Et je peux vous dire que ça me m’arrange pas, la fin du monde, déclara la Guerre.

– Moi non plus, marmonna le fantôme de Sindbad da Souza.

– Tiens, étonnant, s’étonna Abu Bouara. Moi j’ai toujours voulu voir à quoi ça ressemblait, l’Apocalypse.

– Bof, ce n’est pas vraiment génial, rétorqua la Pestilence. C’est juste un gnab gib.

– Un quoi ? demanda Ilda.

– L’inverse d’un big bang, répondit Zéfira.

– Ah ? Je pensais qu’on parlait de big crunch dans les milieux autorisés, pensa à voix haute le barman de Rio.

– Non, cette théorie a été abandonnée il y a deux ans, affirma le prince Abdelah.

– Bah, peu importe, déclama (heu ?) Giorgio Tortelli. De toute façon, on va tous crever comme des poissons.

– En parlant de poisson, on n’est pas un peu serrés comme des sardines, là, interrogea le marabout M’Bou.

– Ouais, beaucoup trop, articula un des gorilles de la mafia new-yorkaise. On va finir par plus pouvoir respirer.

– Vous êtes beaucoup trop gras, c’est là le problème, diagnostiqua la Famine.

– Peut-être, concéda le sultan Al-Kafir. Heureusement que je suis déjà mort, sinon j’étoufferais.

– De toute façon, dans cinq minutes la Lune va pénétrer dans l’atmosphère, sussura le docteur Martesi.

– Non mais taisez-vous ! ! hurla Abdul Bouara, qui commençait à suffoquer.

– Ben, j’ai pas tellement envie de me taire, moi,  » a le garde suisse mort dans l’accident de voiture.

Bouara se retourna pour frapper ce dernier et vit devant lui se dresser l’ombre de Jean-Yves Coulombeau, tel un ange vengeur, avant de le frapper avec toute la force de plusieurs années de recherches minutieuses(28).

 » Plus que deux minutes ! entonnèrent en cœur tous les autres personnages de cette histoire, qui commençaient à se sentir frustrés de ne pas avoir été mentionnés plus haut.

– Je sais, je sais… gromella Coulombeau, en dirigeant toute la puissance de la Forme — et de la lampe qu’il venait de récupérer sur le corps de Bouara — vers le joyau, lequel se mit à se transformer… et en l’espace d’un clin d’œil… enfin, en l’espace de précisément une minute et cinquante-huit secondes, conventions obligent, le joyau se métamorphosa en une jeune femme aux cheveux orange, qui rejeta la tête en arrière pour expectorer un grand rayon lumineux qui partit à la verticale en direction de la Lune…

Qui s’arrêta et retrouva promptement son orbite habituelle. Le monde était sauvé ! Alors le héros prit la jeune femme dans ses bras, et…

Non. ça a déjà été fait, comme fin, et alors ce serait du plagiat.

En fait, la Lune ne s’était pas arrêtée, et elle continuait sa course vers la Terre… Elle pénétra l’atmosphère, et presque instantanément heurta le sol, pulvérisant la croûte terrestre, disloquant les continents, et apportant une mort terrible à tout ce qui vivait sur le globe. Sauf qu’en réalité, ce n’est pas comme ça que ça c’est passé. Au moment de heurter la planète, la Lune disparut. Les astronomes confirmèrent plus tard qu’elle avait retrouvé son orbite, et que rien ne pouvait laisser croire qu’elle en avait bougé. Mais ça, personne ne le savait quand tout le monde(29) se retourna vers Abdul Bouara, qui s’était remis de son K.O.

 » Ben oui, on rigolait, c’était un gag, expliqua-t-il.

– VRAIMENT DE MAUVAIS GOUT, COMME PLAISANTERIE, estima la Mort.

– Ah ça, oui, renchérit Coulombeau. En attendant, Abdul Bouara, je vous arrête. Et tant qu’à faire, je vais donner ma démission. C’est fini, de jouer les héros ! « 

Et c’est ainsi que finit cette histoire, tout le monde repartant à son rythme vers son domicile.

Sauf une personne.

 » Ben, et moi, je deviens quoi ?  » demanda la jeune femme aux cheveux orange, à l’univers en général.

FIN

(1)Oui, la Mort est de sexe masculin.

(2)Non, pas immédiatement après. Il a pris une douche, s’est rasé, s’est rhabillé, a mangé quelques croissants et bu un café, et enfin il est allé au poste de police avant de poser cette question. Mais nous avons pensé que ces détails vous ennuieraient.

(3)Hé oui, même les terroristes les plus sanguinaires peuvent être honnêtes.

(4)Qui n’avaient en fait jamais existé. Mais bon, il fallait un prétexte pour quitter le grand maître du Samedi.

(5)Comme quoi jouer du fusil à pompe dans une société secrète n’empêche aucunement d’aller au cinéma.

(6)Pour défaire les liens, bien sûr.

(7)C’est pourtant vrai, ça doit être une tradition, ou une vieille charte ou quelque chose comme ça.

(8)Les terroristes, tout comme les membres de sectes apocalyptiques, sont souvent très respectueux des traditions.

(9)Les documents qui nous sont parvenus semblent indiquer que personne n’y prêta attention.

(10)A la suite d’une intervention fort opportune de l’auteur.

(11)Grosso modo, des heures durant, elles avaient attendu la fermeture puis endormi les gardiens grâce à la Forme, brisé la vitrine et s’étaient emparées du joyau.

(12)Les 856 victimes qui se trouvaient entre eux et les gardes n’eurent pas cette chance. Mais eux, c’étaient pas des héros.

(13)Heureusement, les coups de feu avaient réveillé leur copain qui était au volant.

(14)Hé oui, les impacts de balle sont visibles sur des voitures blindées, contrairement à ca qu’on voit au cinéma. C’est que nous tenons au réalisme de cette histoire !

(15)Comment ça, on ne les a pas mentionnés avant ?

(16)C’est que c’est vraiment costaud un garde suisse…

(17)Ce qu’on peut traduire en français par  » Chez Popaul « 

(18)Afin d’éviter tout risque de procès intenté par le MFT ou même le MFE, l’auteur a jugé bon d’attribuer un petit nom ridicule aux deux personnages de cette scène, indépendamment de leur sexe.

(19)Mais pas trop en fait, puisque c’est un Nantralien. (NDGrandGourou : un Nantralien, c’est un élève de l’Ecole Centrale Nantes)

(20)Un souvenir des Alpes Suisses, œuvre des mains d’Ilda.

(21)il était vraiment, vraiment, en train de perdre la Forme !!!! (!)

(22)Ce n’est qu’une heure plus tard environ que tous deux se rendirent compte qu’ils avaient conversé avec la déesse de la Justice en étant à moitié à poil.

(23)Parce que son regard avait été attiré par les jambes gainées de soie d’une charmante créature

(24)Personne ne sait pourquoi. C’est une tradition, une vieille charte, ou quelque chose comme ça. Ce qui est sûr, c’est que ça rapporte un paquet de fric au compositeur, droits d’auteur obligent, et que comme il faut faire circuler l’argent, la tradition a un bon fond.

(25)On en fait du voyage, en deux jours, à moto…

(26)Ben oui, quand il ne reste plus qu’une heure avant la fin du monde et qu’on veut tenir le lecteur en haleine pendant encore quelques pages, il faut bien user à outrance du  » pendant ce temps « 

(27)Bon, à partir de dorénavant l’auteur va essayer de limiter les répétitions du mot « dit ». Mais c’est bien pour vous faire plaisir…

(28)Je sais, la phrase ne tient pas vraiment debout, mais que voulez-vous, quand on est pris par un élan épique…

(29)Enfin, toute la portion du monde qui a été évoquée dans cette histoire…