Activités du PCF

CHRONIQUES DES TERRES DES BRUMES

Les lignes que vous êtes sur le point de lire (et que j’espère que vous aiderez à continuer) font partie du domaine nommé « fan fiction ». A ce titre, il est important de rappeller les vues de Terry Pratchett sur la fan fiction : elle est tout à fait autorisée, mais doit absolument rester hors de sa vue. En aucun cas il ne doit tomber dessus par hasard. Ceci pour éviter qu’il écrive un jour quelque chose et reçoive ensuite une lettre disant, grosso modo : « hé, ça, c’était mon idée. »

Non pas qu’il ne puisse pas se payer un très bon avocat. Mais il préfèrerait ne pas en arriver à cette extrémité.


Comment participer à l’histoire ? C’est simple : il suffit d’en écrire la suite et de l’envoyer à [email protected]. Je ferai alors le travail titanesque de copier/coller votre travail à la suite de l’histoire, et publierai le tout sur la mailing liste ainsi que sur le site Web. Voilà, il ne reste plus qu’à vous de participer !


Les annotations d’ordre historico-géographique (par exemple sur la découverte des Terres des Brumes) sont directement tirées du livret accompagnateur de la Carte du Disque-Monde. Livret qu’il est fort conseillé de lire, c’est très drôle, et en plus c’est livré avec une belle carte du Disque.

L’Espace… Frontière de l’Infini… Et toute cette sorte de choses. Ici, l’Homme n’a jamais posé le pied, ce qui, bizarrement, incite un certain nombre de gens étrangement habillés à y aller courageusement. Allez savoir pourquoi. Après tout, vont-ils explorer, disons, les toilettes des femmes (où, normalement, nul homme n’a posé le pied[1]) ?

Enfin bref, si un vaisseau intersidéral en forme de fer à repasser supersonique passait par l’endroit où nous nous trouvons[2], il serait inévitable qu’un trio de héros se téléporterait instantanément sur ce qu’il faut bien, en dépit de toute connaissance astronomique, appeler la planète du coin. Si on peut parler de planète, car un disque ressemblant vaguement à une pizza géologique perchée en équilibre plus ou moins stable sur les dos de quatre éléphants eux-mêmes debout sur ce qui ressemblerait fortement à une tortue[3] ne correspond pas exactement à la définition usuelle de la « planète ». Mais bon, c’est bleu et vert, ça a des nuages, des gens vivent dessus, ça a une atmosphère, ça se balade dans l’espace et ça n’a pas la forme d’un fer à repasser spatial, alors ça doit bien être une planète, non ?

Enfin bref, nos héros galactiques de série télévisée auraient un vaste choix de lieux pour se téléporter, car le Disque-Monde dispose de pas mal de terres émergées. Mais, avec leur talent inénarrable pour arriver systématiquement au mauvais endroit, ils iraient probablement sur la petite île au large du grand continent perdu de XXXX, île que les grands navigateurs, sentant bien sa présence mais toujours incapable d’y aller, ont surnommé la Terre des Brumes.

Pourquoi la Terre des Brumes ? Comme la plupart des noms de pays, l’origine de celui-ci est à la fois profonde et anecdotique. La raison profonde est que l’île est recouverte d’un manteau de brouillard permanent. La raison triviale est que le Général Roderick Purdeigh, qui, à défaut de la découvrir, affirma sa non-existence[4], était reconnu pour son esprit particulièrement brumeux, surtout après avoir bu. Et il avait bu beaucoup avant de relater sa non-découverte de la Terre des Brumes, tellement que son écriture n’était plus vraiment lisible. Alors quand le second de son navire, qui était également son secrétaire particulier, recopia péniblement le passage, il glissa cette petite référence à l’état d’ébriété de son capitaine. Malheureusement pour lui, il ne s’imaginait pas à cette époque que les oeuvres de Purdeigh seraient un jour la référence ultime des géographes en ce qui concerne les environs de XXXX. Quand les premières cartes furent tirées d’après ces récits, naturellement, Purdeigh en eut une gratuitement, et fit promptement exécuter son second.

Il faisait beau à Sakkinavien, la capitale de la Terre des Brumes Contresensiale. On sentait perceptiblement les rayons du soleil de midi essayer de percer l’épaisse couche de brouillard, et, à défaut d’apporter une lumière conséquente, chauffer la brume plus que d’habitude. Bk’tdudz Fileux était content. Du moins, aussi content qu’il pouvait l’être, ce qui fait à peu près jeu égal avec une profonde morosité chez une personne normale. Néanmoins, il était content. C’était la cérémonie de remise des diplômes, il était major de sa promotion et il faisait beau. Il n’avait guère de raisons de ne pas être content, lui avait dit sa mère ce matin-là. Alors, comme c’était avant tout un garçon obéissant, il faisait de son mieux pour être content.

« Bek’tzûd… heu… Beukt’udz… enfin, B. Fileux ! » appela le Chancelier du Collège des Supernatureux Arts de Sakkinavien. Bk’tdudz se leva lentement, et marcha en traînant des pieds jusqu’à l’estrade principale comme s’il portait le poids du monde entier. Autour de lui, il entendait les gens se murmurer des remarques… « Regarde-le ! Je ne l’ai jamais vu si guilleret ! » s’exclamait une dame qu’il reconnaissait vaguement comme sa logeuse. « S’il continue comme ça, il va bientôt se mettre à danser et à chanter ». Ça, c’était un de ses camarades. Et ainsi de suite. Enfin, il atteignit l’estrade, qu’il gravit péniblement. Le Chancelier lui serra la main avec un sourire éclatant pendant que les journalistes activaient leurs iconographes[5]. Puis Bk’tdudz prit son diplôme et son chapeau et redescendit de l’estrade, et s’éclipsa discrètement vers le bar le plus proche.

Il aurait dû être fier de son grand chapeau de Pseudo-Mage Brumeux[6]. Et c’était vrai qu’il était impressionnant, pour un chapeau. Il faisait bien soixante centimètres de haut, avec une pointe effilée, un large bord, et un long ruban aux couleurs de la Terre des Brumes[8] qui était censé tomber majestueusement du bout du chapeau mais qui en réalité tombait prosaïquement dans les yeux de Bk’tdudz. Malgré tout, il se sentait au bord du désespoir. C’était, il est vrai, un état bien meilleur que d’habitude, sachant qu’il était usuellement au plus profond du désespoir. Mais cela ne lui était pas d’un grand secours. Il s’assit au bar et commanda une bière, et joua à son jeu habituel, qui était de dénombrer les grands malheurs de sa vie.

Tout d’abord, ses parents avaient cru bon de lui donner un prénom exotique, et, ayant entendu le cri de guerre traditionnel des Nains de Rien Dutoufjord[9], en avaient suffisamment aimé le son pour le lui donner comme prénom. Et en plus, ils avaient fait une faute d’orthographe, tout le monde savait bien que ça s’écrivait « bk’dt’utz »…

Ensuite, il avait été doté d’une intelligence remarquable. Cela faisait qu’il avait automatiquement été orienté vers la filière d’excellence du système éducatif de l’île, le Collège des Supernatureux Arts. Où, bien sûr, on lui avait appris beaucoup de choses sur beaucoup d’autres choses, mais (1) rien d’utile, et (2) rien de réellement intéressant. Mais ses parents lui avaient dit que c’était pour son bien, alors il avait étudié avec attention la Peut-Être Correcte Théorie de la Magie Restreinte et la Probablement Fausse Théorie de la Magie Générale. Et aujourd’hui, il pouvait sans difficulté couvrir n’importe quel endroit de l’île d’un brouillard impénétrable. Par contre, il ne savait pas comment, disons, dissiper un peu le brouillard, histoire de statuer définitivement sur la véracité des légendes ancestrales, selon lesquelles au-delà du brouillard le ciel était bleu, pas gris, et que le soleil était tellement brillant qu’on ne pouvait pas le regarder directement. Les seuls moments où Bk’tdudz avait vu autre chose dans le ciel que le gris du brouillard, c’était quand il était du gris des nuages qui déversaient leur pluie à torrents.

Pour finir, Bk’tdudz allait certainement être élu pour prendre la succession d’Arnold Grisemine, le doyen du Conseil des Sages du Collège, qui allait démissionner d’ici peu. Et avec un peu de malchance, il s’élèverait rapidement dans la hiérarchie pour probablement devenir le plus jeune Chancelier de la courte histoire du Collège.

Le plus déprimant, c’était qu’il serait probablement un excellent Chancelier. Et là, il serait définitivement perdu : il n’aurait plus rien d’autre à faire que de lancer de nouveaux programmes audacieux de recherche et instaurer une politique dynamique d’ouverture du milieu universitaire aux besoins de la population Brumeuse. Tôt ou tard, il le savait, il finirait par unifier le Collège des Supernatureux Arts de Sakkinavien avec celui de Kölingström, la capitale des Terres des Brumes Sensdirectiale. Et il deviendrait à coup sûr le dirigeant absolu de l’élite intellectuelle de son pays, qui étendrait son influence au continent de XXXX comme aux îles Slakki. Et qui, finalement, serait la puissance dominante de cette partie du Disque.

Non, ce qu’il aurait voulu faire, c’est devenir pêcheur au gros, comme son père. Mais ses parents avaient refusé, et il avait devant lui un futur radieux et incommensurablement déprimant pour quelqu’un comme Bk’tdudz.

Quittons un instant la Terre des Brumes, et éloignons-nous un peu, en direction du Moyeu. N’hésitons pas à survoler allègrement les steppes arides et gelées des terres du Moyeu — ici, il n’y a pas grand-chose à voir, à part peut-être quelques barbares en train d’étriper quelques druides, enfin rien de bien spectaculaire. Non, dépassons le Moyeu et, immédiatement après, tournons de quelques vingt degrés dans le Sens Contraire. Bien. Maintenant, fonçons tout droit. Passons joyeusement au-dessus des montagnes tourmentées du Bélier — après tout, on n’a pas tellement envie de rencontrer les sorcières (non pas que ce ne soient pas des personnes tout à fait charmantes, bien sûr, la fleur des dames que l’on pourrait avoir envie de ne pas rencontrer) et donc hâtons-nous au-dessus de Lancre, des Montagnes de Carrack, des Plaines du Sto — admirez au passage les magnifiques champs de choux, qui nourrissent les villes environnantes — et débarquons à Ankh-Morpork.

« Ankh-Morpork, cité d’un Millier de Surprises », vante la brochure de la Guilde des Commerçants.En fait de surprise, la première qui nous assaille est l’odeur caractéristique de cette ville d’un million d’habitants dénuée d’égoûts. Mais bon, ne vous inquiétez pas, on s’y fait, les Morporkiens vont même jusqu’à l’apprécier, ce qui montre bien que, quelque part, tout existe.

En entrant dans Ankh, dirigeons-nous tout droit vers la Place des Lunes Brisées, le coeur historique de la ville; contournons les murs imposants de la non moins imposante Université de l’Invisible et arrivons à l’endroit un peu à l’écart où quelques pierres, là, voyez, se déplacent facilement pour faciliter l’escalade du mur. Un endroit pareil existe dans tous les murs de tous les établissements d’enseignement du multivers, et sert principalement aux étudiants pour sortir discrètement pour aller boire un coup ou deux (ou dix, ou vingt, c’est selon), tranquillement, dans la taverne la plus proche. Cet état de fait est, bien entendu, connu des autorités de l’établissement, qui après tout ont elles aussi été étudiantes un jour. On pourrait se demander pourquoi, dans ce cas, ne pas simplement ouvrir les portes toute la nuit; mais que voulez-vous, ça doit être une tradition, ou une vieille charte. Ou quelque chose du genre, en tout cas.

Enfin bref, pénétrons donc incognito dans l’enceinte de l’Université de l’Invisible. Attention en traversant le jardin, il arrive qu’on y trouve des sorts ratés et jetés négligemment par des étudiants peu soucieux d’écologie; aussi traverser les dépendances de l’Université dans le noir peut être périlleux. Mais ne vous inquiétez pas, il y a pire. L’endroit le plus dangereux de l’Université est sans conteste la Bibliothèque. Rare sont les imprudents qui y entrent sans précautions — ou en tout cas, rares sont ceux d’entre eux qui en sortent. Un livre de magie est féroce et dangereux; c’est pourquoi ils sont tous enchaînés aux étagères. Mais quand vous avez plusieurs millions de livres de magie, réunis dans un espace défiant les théories les plus fumeuses des mécaniciens quantiques, les préparatifs à faire avant de pénétrer dans ce lieu sont bien plus nombreux que ceux nécessaires pour, disons, escalader l’Everest, ou aller passer un week-end sur la Lune.

Pas de chance, c’est là que nous allons. Car c’est là qu’il se passe quelque chose…[10]

Le Bibliothécaire était ennuyé. C’était rare. Depuis qu’un accident de magie l’avait transformé en orang-outang, les seuls soucis qu’il avait étaient de savoir d’où viendrait la prochaine banane, et de s’assurer que personne ne confondait les singes et les primates. Il y mettait toute son énergie considérable. Et les résultats étaient là, grâce à un mécanisme de sélection naturelle accéléré, les gens à Ankh-Morpork connaissaient maintenant, dans leur ensemble, la différence fondamentale entre les singes et les primates. Il faut dire que se faire marteler la crâne contre les pavés ne favorise pas la reproduction.

Mais au fond de son âme, le Bibliothécaire restait un bibliothécaire. Ce qui signifiait trois choses. Tout d’abord, il s’assurait que personne ne faisait de bruit dans la Bibliothèque. Ensuite, il prenait bien soin que personne ne fumait dans sa Bibliothèque. Et enfin, il faisait son possible pour que l’équilibre du continuum espace-temps soit aussi stable que possible. Et c’était ce qui dérangeait le Bibliothécaire. Ses sens aiguisés par de nombreuses années de service à l’Université Invisible détectaient un léger déséquilibre du continuum espace-temps. Très ténu, mais allant s’accroissant. Cela se voyait à la façon dont les pages des livres de magie s’orientaient[11], à celle dont les hiéroglyphes mystiques ornant les étagèrent fluctuaient dans le champ magique intense ambiant. Cela s’entendait dans le bruit des pages, dans le chant des pamphlets voletant gaiement autour du plafond en dôme, et même dans le bref hurlement des étudiants imprudents qui disparaissaient à tout jamais dans les rayonnages. Quelque chose n’allait pas. Décidément.

Le déséquilibre était certainement très vieux; il datait peut-être même des Guerres des Mages, qui avaient failli détruire le Disque des millénaires auparavant. Mais il s’était lentement augmenté, doucement, doucement, jusqu’à aujourd’hui atteindre un niveau détectable par le Bibliothécaire. Le problème avec les vieux déséquilibres comme ça, c’est que le champ magique du Disque y était habitué, et s’était reformé autour — en clair, on ne pouvait pas le situer précisément. En tout cas, pas facilement.

Le Bibliothécaire poussa un soupir résigné. Il allait donc devoir risquer sa peau une nouvelle fois. Il descendit du plafond, et fouilla dans les tiroirs de son bureau jusqu’à trouver ce qui ressemblerait drôlement à un masque de soudeur s’il y avait des masques de soudeur sur le Disque-Monde. Or il n’y en avait pas, donc le masque du Bibliothécaire n’y ressemblait pas. Il hésita un instant, puis prit aussi une épaisse paire de gants de cuir remontant jusqu’aux coudes et une paire de tenailles. Il sembla s’arrêter un instant, puis un frisson parcourut son épine dorsale. Mais bon, quand il faut, il faut…

Le Bibliothécaire s’enfonça dans les profondeurs du sous-sol de la Bibliothèque, là où sont gardés les livres vraiment dangereux, tels que le Guide des Plaisirs Sensuels, par Une Dame, avec des Illustrations pour les Connaisseurs, ou le terrible Nécrotélicomnicon, écrit de la main du Klatchien Ahmed le Fou (il préférait néanmoins le nom d’Ahmed le J’Ai Juste Ces Maux de Tête…) Et le livre qui intéressait le Bibliothécaire, à savoir le manuscrit original des Aventurieux du Continenst Egaré, de Roderick Purdeigh[12]. Qu’il allait devoir consulter, revêtu d’une armure intégrale en octefer, au péril de son existence. Ah, s’il existait un moyen plus sûr d’identifier les déstabilisations du continuum espace-temps…

Au même moment, quelques bâtiments plus loin, quelqu’un frappa à la porte de Cogite Stibon. Ce dernier était endormi assis à son bureau, le visage reposant délicatement dans les restes de la pizza klatchienne qu’il était en train de manger. Néanmoins, Adrien Tournabside, l’étudiant qui frappait à la porte, connaissait les habitudes de son chef de département (il en avait lui-même de similaires, comme tous les étudiants et professeurs du département d’étude de la Magie à Haute Energie de l’Université de l’Invisible). Il entre donc doucement, et secoua l’épaule de Stibon jusqu’à ce que ce dernier, la joue droite dégoulinante de sauce tomate et de chorizo, se réveille.

« Hein ? Ah, c’est toi, Adrien. Qu’est-ce qui s’passe encore ?

  • B’jour, m’sieur Stibon. Heu, j’voulais savoir si j’pouvais vous montrer quelqu’chose d’sacrément bizarre. Heu. Sur Hex. »

Hex était l’instrument de travail principal du Département Magie à Haute Energie. Il s’agissait d’un amas incompréhensible de tuyaux, leviers, poulies, et d’autres éléments divers. Son coeur était une fourmillière nichée dans un labyrinthe de tuyaux en verre; à l’aide de leviers habilement manoeuvrés, les utilisateurs pouvaient infléchir la trajectoire des fourmis dans le labyrinthe. De cette façon, Hex pouvait effectuer des calculs et lancer des sorts élémentaires, mais à une très grande vitesse. Plutôt que de lancer un grand sort de localisation, Hex pouvait lancer un million de sorts élémentaires de localisation, jusqu’à atteindre, par approximations successives, la position de la cible bien plus facilement, rapidement, et exactement qu’aucun mage n’aurait pu le faire.

C’était une expérience du même ordre qu’Adrien avait lancé la nuit précédente. Toute la nuit durant, il avait lancé des sorts boomerang, qui ne faisaient rien d’autre que de rebondir sur les obstacles (tels que la haute atmosphère ou la surface du Disque) et revenir à son point de départ. La théorie d’Adrien, sur laquelle reposait sa thèse, était qu’en lançant suffisamment de tels sorts et en exploitant les résultats de façon fine avec Hex, on pouvait obtenir une cartographie du Disque bien plus précise qu’aucune autre réalisée auparavant. Pendant toute la nuit, Hex avait lancé des sorts et les avait reçus à nouveau, et analysés. Il venait de donner les premiers résultats.

« Vous voyez c’que j’veux dire, m’sieur Stibon ? C’t’étrange, hein ? », dit Tournabside en montrant une zone de la carte grossière du Disque.

« Moui. T’as lancé les sorts avec quelle distribution ? », demanda Stibon en s’essuyant la joue du revers de sa manche.

« Une distribution linéaire classique. OK, normalement, si près du Bord, on aurait pas dû voir grand-chose, mais on aurait pas dû avoir ça… »

« Ça », c’était une zone de l’autre côté du Disque, au large du continent de XXXX. Au lieu d’y avoir une vague tache représentant une terre émergée — Stibon se souvenait vaguement d’avoir vu quelque chose par là, dans un atlas ou quelque chose du genre –, il y avait un trou noir. De plus, sur des milliers de kilomètres alentour, les mailles de la carte étaient curieusement déformées.

« Bizarre, » dit Stibon. « On dirait que la magie a été… Aspirée, ou quelque chose. Y’a quoi, par là, normalement ?, » demanda-t-il en relevant la tête du dessin. « Y’a pas une île, un truc comme ça ? J’suis sûr d’avoir vu quelque chose… »

« Heu. J’sais pas, m’sieur. Heu. Vous croyez qu’il faut en parler à la Faculté ? »

« Certainement pas ! D’abord ils n’y comprendraient rien, ensuite ils enverraient quelque pauvre connard inspecter l’affaire, et après ils concluraient que tout ça, c’est la faute à Hex, et qu’il faut absolument le démanteler tant qu’il est temps. Non, » dit Cogite, la certitude de ceux qui ont quotidiennement affaire à des supérieurs bien moins savants qu’eux dans sa voix, « il ne faut surtout pas leur dire. »

« Heu. Même le Bibliothécaire ? Heu. J’veux dire, il est pas comme les autres, » proposa Adrien, hésitant.

« Bien sûr qu’il n’est pas comme les autres, c’est un orang-outang !, » s’écria Stibon. « Mais au-délà de sa Bibliothèque, il ne s’intéresse pas vraiment à ce qui se passe dans cette Université… »

« Heu. Je voulais dire, y pourrait ptêt nous montrer une carte, ou quelque chose, pour voir ce qu’il y a par là. Y’avait, » corrigea Adrien. Si Hex montrait un trou noir, c’est qu’il devait y avoir un trou noir. Ce qui était un problème, parce que d’abord, ça risquait de déstabiliser localement l’équilibre espace-temps et donc à court terme détruire le Disque, mais surtout parce que ça affectait les résultats de son étude, et que si ses résultats était faux, il pouvait dire adieu à sa thèse.

« Hé, mais c’est pas bête, ça, » se rendit compte Stibon. « OK, on va voir le Bibliothécaire. De toute façon, un puits de magie pareil, ça va peut-être l’intéresser. Il se tient toujours au courant des déséquilibres du continuum espace-temps. J’crois qu’c’est son hobby, ou quelque chose comme ça. Il sera content de savoir qu’on en a trouvé un entre l’archipel de Slakki et Quatrix. »

[1] Sauf peut-être les ouvriers chargés de la construction du bâtiment, les éventuels plombiers, techniciens de surface, et ainsi de suite. Mais il ne s’agit pas de héros intergalactiques habillés en pyjama jaune moulant, alors ils ne comptent pas.

[2] Virtuellement. Nous ne pourrions pas nous y trouver réellement, à moins d’avoir soit une très grande capacité pulmonaire et une résistance surhumaine au vide (sans parler de la température, et des rayonnements ultraviolets, et ainsi de suite), soit une combinaison à plusieurs millions de dollars.

[3] En effet, ça ne peut pas être une tortue. Tout d’abord, une tortue a besoin d’air et d’eau pour vivre, et surtout une tortue, même géante des îles Galapagos, ne mesure pas plusieurs milliers de kilomètres de long.

[4] Mais ce grand esprit militaire prit d’abord bien soin de définir précisément ce dont il parlait. Ainsi, son récit épique Les Aventurieux du Continenst Egaré, qui relate sa vaine recherche du continent mythique de XXXX, contient les lignes suivantes :

« La Terre def Brumef ef un enfemble de deucz islef fituéef à Cent Lieuef du Miftyque Continenst de Quatre Foicz X dans la Directionnalitée du Constre-Fens. Fette Terre estoit connu pour fon Constinu Brouillar, fa Faune estrange, & fef Spécialitéf Gaftronomicz, e.g. la Foupe de Poiffonf aucz Yeucz de Brebif Marinéf dancz l’Ail. Cestoit plat n’estoit point Mauvaicz, maif il faut Eviter les Yeucz de Brebif f’ils eftoient Vert : ilf font alors Périmés.

Aprèf moult Voyagef dancz la Direction de cestois islef, Nous pouvions Conclurer à l’Inexiftance de ce Paycz Mittik. »

Roderick Purdeigh est également connu pour ne pas avoir découvert XXXX, être passé à un cheveu de l’exploration des îles Slakki, avoir totalement échoué dans sa tentative de découverte du contient Contrepoids, et sa mort inhabituelle aux mains des orangs-outans de Bhangbhangduc quand il essaya de les forcer à porter un pantalon.

[5] Enfin, ils faisaient s’activer les diablotins à l’intérieur des iconographes, pour qu’ils peignent la scène.

[6] Les Brumeux avaient vaguement entendu parler du concept de magie, et, ne voulant pas être en marge de la civilisation, s’étaient jetés à corps perdu dans la recherche magique, en fondant au passage une université spécialisée. Malheureusement, les apprentis mages de la Terre des Brumes n’étaient guère doués et ne réuissirent jamais à faire de sorts plus puissants que les météorologiques de base[7]. Néanmoins, les Brumeux ne se découragent jamais et ils maintinrent leur université et continuèrent à lui envoyer leurs étudiants les plus brilliants. Mais l’honnêteté étant un trait caractéristique des Brumeux, ils décidèrent d’en appeler les élèves les Pseudo-Mages.

[7] Ils étaient notamment experts dans l’art de faire tomber la pluie ou d’invoquer du brouillard.

[8] Une bande grise sur fond gris. Les couleurs, pour les habitants de la Terre des Brumes, étaient réellement quelque chose qui arrivait aux autres. Ceci est en fait un très bon exemple d’évolution en action : les colons Brumeux originaux étaient tout à fait, disons, normaux. Quelques millénaires plus tard, la population Brumeuse était majoritairement daltonienne — pire, en fait ils voyaient le monde en monochrome. Par contre, leur ouïe et leur odorat étaient bien plus développés que chez la plupart des gens, et ils étaient devenus très résistants aux maladies usuellement attrapées quand on sort par temps humide. Incroyable mais vrai.

[9] Qui avaient suivi les grands explorateurs barbares de Rien Dutoufjord dans leur fuite éperdue de leur pays d’origine, où sévissait Lars Neveudelars, le plus grand conteur de l’histoire du Disque. Le légende dit que la plus courte saga de son répertoire ne durait pas moins de sept mois à conter, et relatait principalement l’aventure de deux héros barbares qui passèrent une nuit dans la neige après s’être égarés de leur village natal.

[10] Non pas qu’il ne se passait rien ailleurs. Mais c’est ici qu’il se passait quelque chose d’intéressant pour la suite de notre histoire.

[11] Pour peu que l’on puisse parler d’orientation dans un espace qui n’est pas seulement courbe, mais tordu, traficoté, rafistolé, émietté et froissé en boule comme la Bibliothèque.

[12] Ce livre n’était pas un livre magique. Mais à la suite d’événements fort étranges, que l’on contera peut-être dans les pages qui viennent, le manuscrit original avait été irradié par une quantité de magie insoupçonnée, ce qui l’avait rendu suffisamment thauméoactif pour être enfermé à octuple tour derrrière huit portes en octefer, la seule matière connue capable d’arrêter la magie. La gigantesque quantité de magie brute qui y était concentrée faisait que Les Aventurieux du Continenst Egaré était également extrêmement sensible à toute variation du champ magique du Disque.